Jade et les sacrés mystères de la Vie
Conte philosophique et spirituel, de François Garagnon (extrait)
Jade est une petite fille qui se passionne pour les choses spirituelles (au sens à la fois mystique et humoristique du mot).
Jade s’est mise dans la tête qu’il fallait sauver le monde dans sa saveur. Aussi met-elle tant de cœur à chercher le lien entre sa petite graine de vie et le grand bouquet de l’infini. Elle est irrésistible par sa fraîcheur inventive et son esprit d’émerveillement.
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Il faut devenir des sources, il faut que les autres aient envie de se désaltérer à notre source. Vous avez remarqué ? On ne dit pas : « je meurs d'espoir », pourtant on dit : « je meurs de soif. » C'est bien la preuve que c'est drôlement important, la soif, puisque notre vie en dépend. Il y a énormément de gens qui continuent à vivre sans s'apercevoir qu'ils sont morts. Je veux dire qu'ils existent mais ils ne vivent pas vraiment. Vivre, c'est pas seulement respirer, bouger, se lever, travailler et aller chercher de l'argent à la banque ! À la fin de votre vie, vous croyez que vous vous en souviendrez de tout ça ? Ce sera un foutu pêle-mêle, il n'y aura pas grand chose à retenir, d'ailleurs c'est simple : vous serez complètement gâteux, et vous mélangerez tout ! Bien que vous ayez vécu des milliards de milliards d'instants, eh bien c'est comme si rien ne s'était passé véritablement. Alors vous vous direz : « C'était donc ça la vie ? » Et ce sera comme si vous n'aviez rien vu passer...
Vous trouver ça intelligent, vous, d'en arriver là ? Tenez, je suis sûre que vous avez plein de projets dans la tête, pas vrai ? Oh ! bien sûr, il y a projet et projet. Il y a ce que vous voulez avoir, mais ça c'est votre affaire. Ce qui est beaucoup plus intéressant, c'est ce que vous vous voulez être. Souvent, vous pensez à ce que vous avez toujours voulu faire. Seulement, cet idéal, vous trouvez toutes sortes d'excuses pour pas le réaliser : la force des choses, le manque de temps, les impératifs de la vie quotidienne... Alors, vous vous dites : « On verra ça plus tard. » Mais qu'est-ce que ça veut dire « plus tard » ? Vous voulez que je vous le dise ? Eh bien, ça veut dire « jamais» !
Si vous pouvez le faire et que vous le faites pas, à quoi ça sert que vous puissiez le faire ? Vous êtes pas plus avancés que celui qui ne peut pas. Vous êtes moins avancés. Parce que celui qui ne peut pas, ce n'est pas de sa faute, tandis que vous, c'est que vous gâchez votre talent. C'est comme si vous êtes heureux et que vous ne le montrez pas : comment les autres, ils peuvent savoir que vous êtes heureux ? c'est comme si vous l'étiez pas ! D'ailleurs, le bonheur, c'est tellement grand, c'est tellement abondant, qu'on ne peut pas le garder rien que pour soit tout seul ; ou alors, ce n'est pas du cent pour cent pur bonheur : c'est un mélange de plaisir, d'égoïsme, d'émoustillement, un tralala qui n'a rien à voir avec l'Alleluia.
Je vais vous le dire : le rêve, ça s'use que si on ne s'en sert pas ! Si vous attendez que vos rêves prennent la poussière, eh bien vous serez bientôt un vieil épouvantail plein de toiles d'araignées !
Si vous réalisez pas vos projets maintenant, c'est que ce sont des ballons de baudruche, ou bien, c'est que vous n'êtes pas chiche. De deux choses l'une : soit vous vous hissez au-dessus de vous-même pour être à la hauteur, à la hauteur de vos rêves, soit vous restez un p'tit bout d'homme sans intérêt qui fait du terre-à-terre toute sa vie parce qu'il a soi-disant pas le temps de regarder les étoiles... Voilà, voilà.
Vous savez pourquoi les gens, y z'osent pas? Eh bien parce qu'ils ont fait de leur vie un petit filet d'eau? Ils ont peur de manquer, alors ils ouvrent le robinet tout doucement, ils font du goutte-à-goutte pour s'économise
Je vais vous dire : Raphaël, c'est un ami à moi. Lui, c'est pas un filet d'eau, c'est une vraie cascade ! Je lui ai demandé une fois comment il faisait pour avoir tant à dépenser et, à force de se donner, s'il avait pas peur d'être sec. Il a ri aux éclats, Raph', pas pour se moquer, mais parce que dans ces moments-là, il dit que je suis un sacré bout d'chou. Là, il m'a dit : « Jade, vraiment, tu es irrésistible! », et puis il m'a tout expliqué : - Tu as déjà regardé une cascade ? C'est comme une chute et une renaissance perpétuelle. L'eau n'arrête pas de tomber, à profusion. On dirait même que plus elle s'enfuit, et plus elle arrive ! Plus elle dépense d'énergie et de fougue, et plus elle est généreuse ! Plus l'eau s'exprime de manière impulsive et entière, et plus elle est pure ! Eh bien, toi, c'est pareil. « Tu as entendu parler des nappes phréatiques ? c'est l'eau de dessous la terre qui alimente les puits et les sources... Eh bien, je crois, moi, qu'on a des sortes de nappes phréatiques qui sillonnent notre être tout entier. Si on ne sait pas libérer la source, eh bien elle se tarit, et on devient des cœurs secs... C'est pour cette raison qu'il faut devenir des sources pour les autres. Pour pas qu'ils meurent de soif. Bien sûr, on ne s'improvise pas source, on devient. Tu penses peut-être qu'il faut avoir beaucoup d'eau pour en donner. Et là, tu te trompes. Monsieur Saint-Exupéry a dit: « Plus tu donnes, plus tu t'enrichis ; plus tu vas puiser à la source véritable, plus elle est généreuse. » Tu comprends ? »
Je dois avouer que c'était pas facile à comprendre. Pour résumer la pensée de Raph' : plus on fait les choses gratuitement, et plus on devient riche. Ah bon ! Vous croyez que si je vais voir un marchand, et que je lui dis : « Plus tu donnes, plus tu t'enrichis », il va me prendre au sérieux ? Il va éclater de rire, oui, et il va me dire : « Toi, tu es bien gentille, mais je ne t'emploierais pas comme caissière ! »
J'ai bien réfléchi, et je me suis dit que ce n'était pas une affaire d'argent, mais une affaire de cœur. C'est vrai qu'on peut faires des choses pour son bon plaisir. Mais le plus grand plaisir... c'est le plaisir de faire plaisir. Au plaisir de Dieu ! Gratis pro Deo ! Raph', il appelle ça la sublime gratuité. Il dit : « À quoi sert de thésauriser dans son cœur ? Les sentiments qui ne sont pas donnés sont perdus ! » Quand on a compris ça, on ne donne plus au goutte-à-goutte, on donne en cascade. Plus les sentiments jaillissent, plus ils arrivent en trombe ! Plus tu libères ta source, et plus son flot grossit !
Plus tu donnes, plus tu t'enrichis... Et si je faisais fortune, comme ça ? Chiche !... Çà me déplairait pas, moi, de devenir milliardaire en sentiments !